samedi 22 mars 2014

On parle de Rodanski (9)

Jean-Pierre Duprey, Stanislas Rodanski, Claude Tarnaud, par Guy Darol

L’Anthologie de l’Humour noir d’André Breton, dans son édition définitive du 16 mai 1966, se referme sur un portrait de Jean-Pierre Duprey, celui qui « habite une maison sise au cœur d’une forêt pleine de loups ». Il est, à la fin de ce livre, « le prince du royaume des Doubles » dont le domaine « vaut la peine qu’on s’y aventure ». Une invitation que l’on devine périlleuse au risque des morsures. Elles répandent comme un poison de quête, à condition d’être hanté par le goût des questions. André Breton évoque à son sujet une « époque spirituelle », un temps où l’aventure gravissait en marge des mirages, là-dedans en quelque sorte, entre réel et imaginaire, poésie et fantastique. Mélancolie d’une période où la littérature servait d’appui pour se bâtir une vie, loin de l’impérieuse réalité. Il y avait encore la promesse d’une autre voie, alternative aux dogmes de la matière, à cette croyance superstitieuse que le réel s’achète. La poésie misait sur Le Mont Analogue, La Forêt Sacrilège, La Victoire à l’ombre des ailes  ou Le Joueur Blancvêtu. C’étaient des cartes à jouer pourvu que l’on veuille s’en sortir par des mots étincelants, voire énigmatiques,  plutôt que des doctrines en forme de barbelés. Lire la suite ici.

dimanche 9 mars 2014

Chronique de Pour Chorus Seul, de Patrice Beray (Les Hauts Fonds)

Les Editions  Les Hauts-Fonds ont publié en novembre dernier un « essai poétique » de Patrice Beray, Pour Chorus Seul. A Jean-Pierre Duprey et Claude Tarnaud. Joli petit volume de 70 pages, l’ouvrage est donc consacré à deux maudits du surréalisme de l’après seconde guerre mondiale, et Rodanski y apparaît à de nombreuses reprises.  



Au début du volume, P. Beray pose une solide analyse du contexte culturel de ces années « d’après-guerre synonyme de guerre faite à la poésie » (p. 40). Ecrasé d’un côté par la «« renaturalisation » du geste poétique» (p. 18), d’un autre par le retour au récit et enfin par l’emprise existentialiste, la « geste individuelle » de la poésie de Duprey héritière du surréalisme déjà en cours de mythification et en même temps marginalisé est tout à fait inaudible, ou quasi. Car, selon l’heureuse formule de Dominique Rabaté citée par P. Beray, ces auteurs « cherchent à sortir par le dedans » (p. 17). Établissant ainsi cette « communication par voie d’étincelles entre les êtres » chère à André Breton, leur écriture exigeante est bien trop incandescente  et par-là dangereuse dans cette époque des structures et de culture de masse. Indépendants du groupe mais avec la boussole surréaliste en poche, ces jeunes poètes sont contraints à la clandestinité et la solitude (Connais-toi ta solitude est le titre d’un poème de Rodanski) : deux options qui constituent la seule voie pour (tenter de) sauver « le secret de [sa] vie intérieure » (p. 22). Et l’auteur de souligner avec justesse, chez Duprey mais aussi chez Rodanski « l’oppressante teneur existentielle » (p. 31) d’une poésie libérée de la « définition originelle de l’image surréaliste » (id.). L’introduction et la première partie consacrée à Duprey sont ainsi éclairantes à plus d’un titre et mobilisent un faisceau de références (Annie Lebrun ou Paul Ricœur pour n’en citer que deux) tout à fait pertinent. Par son titre même, l’ouvrage de P. Beray se place sous les auspices jazzistiques et, si pour Tarnaud, admirateur de Thelonious Monk, la référence est évidente, elle l’est à première vue moins concernant Duprey. Mais l’auteur montre bien comment la pensée du Duprey ne « vibre qu’à son phrasé sur toute l’étendue du poème » (p. 28), mue qu’elle est par un « désir d’inventer inaliénable » (id.).  

La seconde partie consacrée à Tarnaud constitue la première étude thématique du cycle romanesque de ce dernier et dont la figure de Rodanski constitue un personnage principal dès The whiteclad Gambler, sous le nom de Pierre Lecomte – accompagnée de son épouse Anne, derrière laquelle se cache Béatrice de la Sablière, un temps l’amante de Stan. P. Beray montre habilement comment cette partie de l’œuvre de Tarnaud ne vise « autre chose que de se donner les moyens (jusqu’au plus irréalisables) de l’invention de sa propre vie », invention qui ne peut être que « collective » (p. 48). L’auteur décrypte ce qui se joue sur le plan littéraire tout en mettant en perspective ces textes et leur histoire dans la biographie de leur auteur – dans les biographies de leurs auteurs même, puisque Tarnaud conçoit son œuvre en y insérant notamment des lettres (de Rodanski, mais aussi de Gherasim Luca). Seul regret concernant cette partie du livre, les archives privées auxquels P. Beray a eu accès – il évoque notamment la correspondance Luca-Tarnaud (dont on peut penser qu’il s’agit de celle récemment vendue, voir ici) et sur lesquelles il ne dit mot. Mais c’est ici notre hémisphère historien qui parle. Car le littéraire sort lui convaincu de cette seconde partie.

L’auteur termine brillamment lorsqu’il écrit qu’avec la geste épique de leur poésie, Duprey, Tarnaud ou encore Rodanski « opposent radicalement à la société qui divise et opprime la liberté d’une existence aventureuse – et à la solitude contrainte, la promesse d’une coexistence » (p. 63).

Dernière qualité de l’ouvrage, ses illustrations qui, bien qu’en noir et blanc, donnent à voir des œuvres rares : des objets conçus par Tarnaud et des sculptures de Duprey. La publication de photos de ces dernières laissent deviner que l’imbroglio juridique autour de l’œuvre plastique de l’auteur de Réincrudation est enfin résolu (car les lecteurs attentifs du blog de P. Beray auront pu y suivre en partie l’histoire). Si cette intuition est juste, la découverte de cette partie de l’œuvre de Duprey n’est donc plus qu’une question de temps (et plus de droit), et de cela, on ne peut que se réjouir.


Pour mémoire, en même temps qu'elles publiaient Pour Chorus Seul, les Éditions Les Hauts Fonds rééditaient l'introuvable Aventure de la Marie-Jeanne de Tarnaud.

Thomas Guillemin

mercredi 5 mars 2014

On parle de Rodanski (8)

Au verso ardent de la langue : pour une poétique de Stanislas Rodanski, par Jean-Nicolas Clamange




Je poursuis ici le compte-rendu, entamé lors de ma précédente chronique sur Substance 13 (Des cendres, 2013), des publications inédites de Stanislas Rodanski procurées par François-René Simon […]. La plupart des commentaires de Je suis parfois cet homme que j’ai parcourus lisent ce recueil au miroir de la vie tourmentée qui fut celle de Rodanski, y compris dans sa relation au surréalisme dont il est le dernier soleil noir. Pour ma part, je voudrais surtout réfléchir à la façon dont son écriture travaille la langue et sur l’impact critique qui peut en résulter pour notre rapport aux clichés du discours dominant... lire la suite ici.


Précieuse analyse d'un fidèle lecteur de l’œuvre rodanskienne qui ouvre de nouvelles perspectives sur la poésie de Stan. L’œil avisé de Jean-Nicolas Clamange cite pour conclure sa chronique ces magnifiques lignes d'un poème de Je suis parfois cet homme :


J’ai été seul
Je cherchais mon nom sur les murs
Je demandais mon âge aux passants
Je lisais des signes de ma venue au monde
Sur les trottoirs perpétuels de la ville
Mais la foudre féconde le regard des vitres dans le sable
Un grand poème brûle ma main de gloire
Faire acte de présence
Écrire acte de naissance
Miroir fertile où germera mon image
Ma ligne de vie ma ligne d’horizon
Se coupent en moi à l’infini.