dimanche 10 avril 2016

Patrice Beray - L’événement inconnu (Stanislas Rodanski, Jean-Luc Raharimanana) (blog "Inspire, ce n'est rien")

C’est François-René Simon qui m’a rappelé cette image de Stanislas Rodanski, « l’événement inconnu », alors que l’on fêtait la semaine passée, à Toulouse, un cher ami commun. Certes, il serait commode de réduire cette image à une figure de rhétorique : l’oxymore par exemple. Car pas de lapsus possible, le poète n’a pas dit événement inattendu ou imprévu, mais « inconnu ». Or comment un mot dont le sens porte à penser qu’il désigne un fait, qui, par nature, a eu lieu, ou est en train d’arriver, pourrait-il être qualifié d’« inconnu » puisqu’on est censé en avoir connaissance dès lors qu’on le perçoit, surgissant dans la réalité comme tel ? Ce fait, à défaut de le comprendre, et pour peu qu’il se déroule sous nos yeux, ou à tout le moins à portée d’oreilles, on pourrait le décrire, en témoigner et même essayer de l’interpréter.

Pour autant, il n’est pas tout à fait exact de dire que les deux termes s’excluent absolument de par leur sens (ce serait alors bien un oxymore). C’est leur association qui est troublante, et bien dans la manière de l’image surréaliste consistant à rapprocher deux réalités en tous points éloignées.

Si tout dans cette image, « l’événement inconnu », par la force de l’adjectif « inconnu », paraît propulser au-devant de la vie, dans le présent qui sollicite au-dehors, en un mélange d’anxiété et de désir de découverte, alors le mot même d’événement, dans le rapprochement inédit de ce couple de termes, est là pour retenir au-dedans, pour rattacher à un passé immédiat ou lointain.

C’est que l’événement tout autant que de placer devant la vie renvoie au vécu immédiat ou lointain. Ainsi cet événement inconnu prend-il attache dans la mémoire, et s’il est resté enfoui dans le passé, en tant qu’événement, c’est parce qu’il n’a pas été possible au moment de son surgissement de percevoir pleinement sa qualité ou son importance. Ajoutons même que pour des raisons contingentes, il ne pouvait pas en aller autrement au moment de son surgissement.

En une image l’événement que délivre Rodanski a ceci de singulier qu’il s’est empli de la capacité des mots, dans leurs relations, à transformer la réalité. Et c’est sa réapparition au fil du temps, dans le temps qui l’a vu grossir, qui en fait, par son cheminement secret et sa survenance dans un présent plus lointain, un « événement inconnu ». Lire la suite...